Environnement, santé, société : quel est le coût réel de la livraison motorisée vs. la cyclologistique ?  

Les prix de la livraison urbaine masquent une partie des coûts réels supportés par la société. Une étude anglaise met en lumière les coûts environnementaux, sociaux et sanitaires de la livraison en ville et livre une comparaison chiffrée des différents modes de transport. Décryptage.  

Le secteur du transport, émetteur majeur de gaz à effet de serre et de particules fines, est au cœur des enjeux écologiques et de santé. Dans les centres-villes, la qualité de l’air et la qualité de vie sont directement impactées par ces émissions.

Face à l’augmentation des livraisons urbaines et à leur impact, l’utilisation de véhicules moins polluants devient cruciale. Les vélos cargos électriques, adaptés pour les livraisons du dernier kilomètre, apparaissent ainsi comme une réponse durable pour répondre à ces défis. Cependant, le développement de la cyclologistique est freiné par des coûts de livraison souvent plus élevés pour les vélos cargos électriques que pour les camionnettes diesel ou électriques. 

Alors que le secteur du transport, grand émetteur de gaz à effet de serre et de particules fines, se trouve au cœur des enjeux écologiques et de santé, une étude anglaise réalisée par l’organisation Just economics fin 2022 soulève un point essentiel : l’ensemble des coûts réels – sociétaux, environnementaux, et sanitaires – liés au transport de marchandises reste largement sous-évalué dans le coût de livraison actuel. Cette négligence des coûts externes, qui sont pourtant inévitablement supportés par la société dans son ensemble, révèle une distorsion significative du marché qui favorise les modes de livraison motorisés au détriment de solutions plus durables comme la cyclologistique. Cette dernière se montrerait nettement plus compétitive si ces coûts étaient intégralement pris en compte, notamment dans les zones urbaines densément peuplées. Décryptage des enjeux. 

Coûts environnementaux : un écart de 1 à 67 entre vélo cargo et camionnette diesel 

Tous les modes de transport génèrent des coûts environnementaux qui ne sont pas directement assumés par les entreprises de livraison. Ces coûts, appelés « externalités », incluent notamment la pollution, l’impact sur la santé publique et les effets sur le changement climatique. Les externalités sont des conséquences indirectes d’une activité économique, qui affectent d’autres parties sans que celles-ci soient compensées. En l’absence de prise en charge de ces coûts par les entreprises de livraison, il y a peu d’incitations pour elles à adopter des pratiques plus respectueuses de l’environnement. 

Analysant les impacts en termes de changement climatique, pollution de l’air, bruit, et pollution de l’eau de la livraison dans la ville de Londres pour les différents modes de livraison, l’étude de Just economics révèle ainsi des écarts très importants en termes de coûts environnementaux :  

•  le coût environnemental annuel des camionnettes diesel à Londres est estimé à 640 millions de livres, ce qui représente une charge environnementale 67 fois supérieure à celle d’un vélo cargo électrique. 
    
• en comparaison, les camionnettes électriques engendrent un coût environnemental de 170 millions de livres par an, soit 18 fois plus élevé que celui d’un vélo cargo électrique, estimé à 9,5 millions de livres.

L’étude estime ainsi le coût par mile à 0,1732 £ pour une camionnette diesel, 0,0462 £ pour une camionnette électrique et 0,026 £ (soit un coût par kilomètre de 20 centimes d’euro pour une camionnette diesel, 5 centimes pour une camionnette électrique et  3 centimes pour un vélo cargo).   

Récapitulatif des coûts environnementaux par mode de livraison 
(coût par mile en livres sterling) 

Tableau issu de l’étude de Just economics et traduit en français 

Coûts sociétaux : un avantage significatif pour les vélos cargos

Les coûts sociétaux du transport de marchandises sont aussi bien réels. À titre d’exemple, un document publié par la mairie de Londres révèle que, de 2015 à 2017, les camionnettes et les poids lourds ont été impliqués dans 32 % des collisions mortelles totales dans la capitale anglaise. Dans son analyse, l’organisation Just economics intègre ainsi les accidents, mais également le coût des infrastructures (construction et entretien des routes et pistes cyclables, etc.), de la congestion du trafic ainsi que l’impact sur la santé des chauffeurs.

Concernant la santé des chauffeurs, Just economics appuie ses chiffres sur l’impact positif d’un mode de livraison actif pour les livreurs à vélo en comparaison avec la sédentarité des chauffeurs. À noter : l’étude n’évoque pas l’impact de la pollution sur la santé d’un chauffeur à vélo. Cependant, d’après des études d’Airparif, association de surveillance de la qualité de l’air en Île-de-France, l’exposition à la pollution est deux fois moins élevée pour le cycliste sur une piste séparée que dans la circulation automobile. Par ailleurs, Airparif détaille qu’il reste plus bénéfique de circuler à vélo, même dans des conditions polluées.  

En termes de coûts chiffrés, l’étude de Just Economics révèle des différences notables entre les modes de transport. Par exemple, le coût social des déplacements en camionnette diesel est estimé à 1,8 milliard de livres sterling, un montant très similaire pour les camionnettes électriques, mais six fois plus élevé que pour les vélos cargos. Ces chiffres soulignent l’avantage significatif des vélos cargos en termes de coûts sociétaux, en plus de leurs bénéfices environnementaux. 

Récapitulatif des coûts sociétaux par mode de livraison 
(coût par mile en livres sterling) 

Tableau issu de l’étude de Just economics et traduit en français 

Coûts des infrastructures en France : 36 fois plus d’investissements routiers que cyclables

Si l’analyse réalisée par Just economics se concentre sur Londres, plusieurs études permettent de transposer ces chiffres dans le contexte français. 

D’après un rapport publié fin 2022 de l’European Cyclists’ Federation (ECF), la fédération européenne cycliste, la France se classe en 21e position sur 27, en termes d’investissements pour le vélo : en s’appuyant sur l’investissement prévu dans le pays en 2023 (soit 350 millions d’euros), l’ECF expose que 3,7 € par habitant est investi dans des infrastructures pro-vélo par an en France.  

Dans son rapport 2023, l’Observatoire de la Route note une progression des dépenses d’investissement routier ces dernières années pour atteindre 9 milliards d’euros en 2022. En utilisant le même mode de calcul que celui utilisé par l’ECF, on obtient ainsi un chiffre de 134 € investi en 2022 par habitant en France pour les infrastructures routières, soit un ratio de 36 en comparaison avec les dépenses d’investissement pro-vélo. 

Externalités totales : un ratio de 1 à 8 en faveur de la cyclologistique

En combinant les coûts environnementaux et sociétaux, on obtient des externalités totales par mile de à 0,661 £ pour une camionnette diesel, 0,5438 £ pour une camionnette électrique et 0,0777 £ (soit un coût par kilomètre de 76 centimes d’euro pour une camionnette diesel, 63 centimes pour une camionnette électrique et  9 centimes pour un vélo cargo).   

Récapitulatif des externalités par mode de livraison 
(coût par mile en livres sterling) 

Tableau issu de l’étude de Just economics et traduit en français 

La prise de conscience des coûts externes non inclus dans les tarifs de livraison s’avère cruciale pour créer des conditions équitables entre les modes de livraison et favoriser des alternatives plus écologiques comme la cyclologistique. 

Bien que ces coûts soient actuellement dissimulés et répartis sur l’ensemble de la société, leur reconnaissance et leur internalisation dans les prix de livraison pourraient catalyser un changement significatif. 

En mettant en lumière cette réalité économique et en appelant à une réforme des pratiques tarifaires, il devient possible de débloquer le potentiel de la cyclologistique. Cette approche renforcée par des mesures incitatives, telles que le programme ColisActiv’, et une législation adaptée, pourrait permettre de libérer le plein potentiel de la cyclologistique. 

Le “prix juste” de la cyclologistique et de la livraison motorisée 

Au-delà des externalités sociales et environnementales, l’analyse de Just economics met également en exergue le fait qu’en Angleterre la tarification opérée ne reflète pas le coût économique total de la livraison motorisée.

L’étude met en lumière le fait que les entreprises de messagerie font souvent appel à des chauffeurs indépendants, à qui elles délèguent une part importante des coûts opérationnels, tels que l’acquisition de camionnettes et les dépenses en carburant. Cette approche leur permet de proposer des tarifs de livraison que les sociétés rémunérant directement leurs employés ne peuvent pas atteindre. À l’inverse, les livreurs à vélo sont généralement embauchés en tant que salariés et les coûts opérationnels sont couverts par l’entreprise de messagerie. Selon l’étude, ce contraste explique en grande partie la difficulté pour la cyclologistique à rivaliser avec la livraison motorisée.

Ce contexte a incité Just economics à réfléchir sur la définition d’un « prix juste » minimal pour les livraisons, selon chaque mode de transport. Ce prix correspondrait à celui qu’une livraison moyenne devrait coûter si l’entreprise prenait en charge l’ensemble des coûts économiques, au lieu de les transférer aux chauffeurs ou aux livreurs.

Le tableau ci-dessous, issu de l’étude et traduit en français, illustre  la ventilation des coûts économiques de chaque mode pour calculer un tel « prix juste ». 

Ces données ne doivent pas être perçues comme des valeurs fixes, mais plutôt comme des indicateurs destinés à illustrer les déséquilibres du marché. L’étude de Just Economics explique : « Ces chiffres sont établis sur une série d’hypothèses qui peuvent varier selon les spécificités de l’entreprise, ainsi que la taille, la fragilité, le poids et l’urgence du colis. Ils ne doivent pas être considérés comme des minima tarifaires absolus, mais plutôt comme des références illustrant les charges financières assumées par les chauffeurs, qui faussent la concurrence entre les différents modes de livraison ». 

L’étude indique que le prix d’une livraison moyenne dans le centre de Londres par camionnette diesel devrait être de 6,42 £ (7,45 €) pour couvrir tous les coûts économiques, y compris la TVA. Just economics note que ce montant est nettement supérieur aux 2 £ (2,30 €) par livraison que certaines entreprises de coursiers en camionnette facturent. Les prix correspondants pour les livraisons en camionnette électrique et en vélo cargo électrique sont respectivement de 5,68 £ (6,59 €) et 4,98 £ (5,78 €).