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Cyclologistique : le défi de la rupture de charge

28 novembre 2023

La cyclologistique s’affirme comme une réponse adaptée aux enjeux du dernier kilomètre en zone urbaine. Cependant, sa mise en œuvre se confronte à la problématique de la rupture de charge. Alors que de nombreuses villes souhaitent apaiser et piétonniser leurs hyper-centres, des solutions existent pour réduire les contraintes liées à la rupture de charge. Tour d’horizon.

Ces dernières années, les municipalités ont accentué leur engagement en faveur de la piétonnisation et de l’apaisement des cœurs de villes, restreignant l’accès des véhicules motorisés dans l’hyper-centre. À terme, dans de nombreuses métropoles, il sera ainsi de plus en plus compliqué, voire impossible, de réaliser des livraisons en véhicules motorisés au cœur des villes. Les contraintes réglementaires et les enjeux écologiques poussent les acteurs du secteur à envisager des solutions alternatives, comme la cyclologistique. Cependant, les livraisons à vélo nécessitent souvent une rupture de charge supplémentaire, pour permettre le passage de la marchandise du camion au vélo cargo.

Comprendre l’importance de la rupture de charge pour la cyclologistique

La rupture de charge intervient lorsqu’un colis est déchargé, manipulé, puis rechargé afin de continuer son parcours de livraison. Elle est particulièrement courante lorsqu’il y a un changement dans la granularité de la livraison, comme le passage d’un camion à un vélo. En cyclologistique, cette étape est essentielle, car les vélos, limités en termes de capacité et de distance, doivent être approvisionnés.

Traditionnellement, dans le cadre de livraisons réalisées uniquement avec des camions, les entrepôts sont positionnés loin des centres-villes pour des raisons économiques liées au coût du foncier. Les marchandises destinées aux centres-villes sont alors stockées dans ces entrepôts péri-urbains, et des véhicules utilitaires légers (VUL) sont chargés de livrer les clients finaux directement depuis ces emplacements.

Cependant, cette méthode de flux direct n’est pas envisageable pour les vélos cargos, en raison des contraintes de temps de trajet, de sécurité et de coût. Si la plateforme logistique est située à moins de 5 à 10 km du centre-ville, la rupture de charge peut être réalisée directement depuis le poids lourd vers le vélo cargo. Mais, dans la majorité des cas, les marchandises doivent être préalablement acheminées en poids lourds ou VUL jusqu’à des stocks intermédiaires, généralement appelés espaces de logistique urbaine (ELU). Ces ELU sont situés en centre-ville ou en très proche périphérie, répondant ainsi aux besoins spécifiques de la cyclologistique.

Cette étape cruciale permet d’assurer le transfert des marchandises depuis des véhicules de grande capacité vers des vélos cargos, qui effectuent ensuite la livraison finale vers les clients de manière plus écologique et adaptée à l’environnement urbain. 

Les freins liés à la rupture de charge

Cette organisation, bien que nécessaire, représente une des principales difficultés de la cyclologistique en raison des défis liés à la mise en place d’entrepôts urbains et à la coordination des différents moyens de transport.

Changement d’organisation : la gestion de la rupture de charge demande de revoir en profondeur les processus de travail. Elle exige une réflexion approfondie sur l’optimisation des flux, la gestion des stocks et la planification des tournées. Elle implique également la formation des employés, l’adaptation des outils logistiques et l’apprentissage d’une nouvelle culture organisationnelle. Une transition réussie impose ainsi un investissement en temps et en ressources, ce qui peut être un frein pour certaines entreprises.

Disponibilité du foncier : l’implantation des points de rupture de charge est un vrai enjeu de recherche foncière. En effet, les espaces doivent être suffisamment grands pour permettre un stockage temporaire et des opérations logistiques fluides, tout en étant stratégiquement localisés. Les critères à prendre en compte incluent la proximité des axes routiers majeurs pour l’accessibilité en camion ou véhicule utilitaire, mais aussi un accès rapide à l’hyper-centre et/ou à un réseau cyclable structurant pour les vélos cargos. Trouver un foncier répondant à ces exigences, qui soit à la fois disponible et financièrement accessible, se révèle souvent être un défi. Dans de nombreux cas, les emplacements idéaux sont soit déjà occupés, soit particulièrement onéreux.

Coût : les acteurs de la cyclologistique bénéficiant du programme ColisActiv’ interrogés sur les dépenses liées à leur ELU (loyer, infrastructure, charges) indiquent que celui-ci représente entre 8 à 12 % du coût de la livraison du dernier kilomètre en vélo cargo. Dans un secteur très concurrentiel où chaque centime compte, ce surcoût peut être perçu comme un frein significatif à l’adoption de cette solution. 

Cependant, ces défis sont contrebalancés par les nombreux avantages de la cyclologistique (lire notre article “La cyclologistique, un atout pour la livraison urbaine”). Celle-ci permet notamment :

  • de s’affranchir des restrictions d’accès en hyper-centre,
  • d’augmenter le nombre de points livrés par heure,
  • d’offrir une meilleure prédictibilité sur les heures de passage, garantissant ainsi un taux de succès élevé dans les livraisons,
  • de réduire les coûts liés à l’achat, la location et/ou la maintenance des engins utilisés par la livraison

Par ailleurs, les primes versées par le programme ColisActiv’ pour chaque colis livré à vélo, partagées entre le donneur d’ordre et l’acteur de logistique urbaine, participent à renforcer l’attractivité et la profitabilité de la cyclo-logistique, notamment dans les zones urbaines à forte densité. 

Quelles solutions voient le jour pour minimiser les contraintes liées à la rupture de charge ?

Plusieurs solutions innovantes émergent pour rendre les livraisons à vélo plus compétitives en augmentant à moindre coût le maillage des lieux de rencontre entre camions et vélos cargos.

Intensification de l’usage de certains lieux : dans les villes, certains espaces ou infrastructures urbaines ne sont exploités qu’une partie du temps. À Paris par exemple, RATP Logistics loue des places de bus, inutilisées en journée, à des acteurs de la logistique urbaine, dont les transporteurs Ecolotrans et Coursier.fr, pour réaliser la rupture de charge. Dans le 9e arrondissement de Lyon, La Poste utilise ses agences comme point de départ de tournées pour les livraisons en vélo cargo. 

Des ELU à l’échelle d’un quartier : des aménageurs et foncières spécialisés en logistique urbaine construisent des ELU à l’échelle d’un quartier pour assurer les livraisons du dernier kilomètre. L’entreprise Sogaris implante ainsi des espaces de proximité dans des délaissés urbains comme un ancien parking (Beaugrenelle), une station-service (La Folie Champerret), ou en sous face du périphérique (P4). C’est la solution qu’a également retenue Urb-it, spécialiste suédois de la cyclologistique, en s’installant dans le centre de logistique urbaine de Segro, au nord-est de Paris, près de la Porte d’Aubervilliers. De son côté, la métropole de Nancy met à disposition des coursiers nancéens un conteneur au sein de son centre technique. La métropole de Grenoble a, elle, favorisé l’implantation d’un ELU sur du foncier disponible et adapté en lançant un AMI ciblant la cyclologistique. Par ailleurs, le service 12point5 identifie des lieux sous-utilisés (parkings, concessions, etc.) pour les transformer en fonction des besoins spécifiques des cyclologisticiens, de la simple place de stationnement sécurisé au hub de logistique urbaine.   

Des micro-hubs fixes : la Ville de Paris a mené une expérimentation avec l’entreprise Sogaris en installant des micro-hubs sur des places de stationnement ou de livraison. À la frontière entre entrepôts et mobilier urbain, ces modules accueillent des petits caissons de livraison de marchandises, optimisés pour une exploitation par vélo cargo. Ils peuvent donc être déplacés facilement au gré des besoins des opérateurs, des utilisateurs et de la Ville de Paris, sans impact sur la chaussée. Si cette expérimentation, menée à Paris avec Cargonautes et Ecolotrans, n’a pas été reconduite, la métropole de Bordeaux étudie la possibilité de mettre en place une solution similaire pour la collecte de déchets sur la place des Quinconces. À Marseille, le cyclologisticien AGILENVILLE vient également de lancer une expérimentation pour l’implantation de micro-hubs de quartier, simples à installer et à relocaliser si besoin, en collaboration avec Sogaris et les mairies de secteur.

Des micro-hubs semi-mobiles : une autre solution consiste à utiliser des conteneurs semi-mobiles, déposés en ville le matin et récupérés le soir. Ces unités temporaires sont chargées le matin puis déposées à un endroit où les vélos cargos peuvent être chargés sans gêner les autres usagers. Cela permet ainsi d’améliorer le maillage géographique et donc de réduire les distances d’approche (distance entre le point de départ de la tournée et le premier point de livraison). À Angers, K’liveo va expérimenter un système de hub relais mobile. Occupant l’équivalent d’une place de parking (2,50m X 5m), ce dernier sera déposé dans un lieu stratégique de chaque quartier puis alimenté par camion pour permettre aux vélos cargos de récupérer les marchandises. Une fois vide, à la mi-journée par exemple, le hub pourra être déplacé pour être affecté à un autre quartier. 

Transbordement en voirie : certains acteurs s’affranchissent des ELU en préparant leurs tournées directement dans des centres de tri régionaux où le foncier est meilleur marché pour réduire la rupture de charge en ville à un simple transbordement du camion vers les vélos cargos sur la voirie. Certaines villes, comme New York, dédient des espaces spécifiques pour ce transbordement. À Lyon, le Centsept, le pôle d’innovation sociale et environnementale de la métropole, a lancé une expérimentation avec le déploiement de la Ruche, un espace extérieur qui sert de point de rencontre éphémère entre camions et vélos cargos pour réaliser une rupture de charge. 

À Paris, l’entreprise de livraison DeliverMe.City s’appuie sur des vans électriques, aménagés comme des entrepôts et pensés comme des hubs mobiles, afin d’approvisionner sa flotte de cyclistes directement sur la voirie.

Pour répondre à ces nouvelles pratiques, de nombreux acteurs développent actuellement des nouveaux systèmes facilitant les transbordements rapides (caissons pouvant être clipsés directement sur les vélos, etc.). 

Fluvial : l’entreprise de livraison urbaine Fludis associe l’utilisation d’une péniche électrique, pensée comme un entrepôt mobile, avec une flotte de vélos cargos pour livrer en plein centre de Paris par le fleuve. À Strasbourg, la société Urban Logistic Solutions (ULS) bénéficie d’espaces logistiques à proximité de la voie fluviale pour assurer des livraisons en bateau et vélos électriques. 

La cyclologistique est une solution adaptée aux défis du dernier kilomètre, mais pour qu’elle soit pleinement adoptée, il est essentiel de repenser les modalités de la rupture de charge. Bien que les entrepôts de logistique urbaine (ELU) soient une option, leur coût élevé et la difficulté à trouver des emplacements idéaux limitent leur pertinence. Des lieux partagés pour le transfert entre camions et vélos cargos apparaissent donc comme une alternative complémentaire nécessaire. En encourageant la création de micro-hubs et d’espaces de transbordement en voirie, les municipalités peuvent favoriser une adoption plus large de la cyclologistique. Ces options, plus économiques et flexibles, permettraient non seulement de démultiplier les points de transbordement, mais aussi d’optimiser l’utilisation du foncier urbain.

Gestion de la rupture de charge : l’exemple du groupe Transcan

Implanté dans les Alpes-Maritimes, le groupe familial de transport Transcan a créé en 2021 la filiale Eco City. Celle-ci assure des livraisons du dernier kilomètre en vélo cargo électrique dans l’hyper-centre de Nice.

Eco City opère à partir d’un entrepôt logistique de 6 000 m² en périphérie de la ville, équipé pour trier jusqu’à 6 500 colis à l’heure provenant de différents expéditeurs. Les colis y sont triés « à la rue près », puis acheminés en camions porteurs électriques vers des hubs interurbains. Ces petits entrepôts de 400 à 800 m², situés en hyper-centre, servent ensuite de point de départ pour les vélos cargos qui assurent la livraison sur les derniers mètres. Les itinéraires sont optimisés grâce à l’utilisation d’un logiciel de Transport Management System (TMS).

« Cette stratégie de collaboration est cruciale. Cette mutualisation et massification rendent notre modèle singulier et permettent de maîtriser notre modèle économique. Aujourd’hui, bien que les ruptures de charge soient inévitables, nous réussissons à réduire le nombre de livraisons distinctes pour un même destinataire, en garantissant une livraison groupée. Cette approche innovante est, à notre avis, l’une des rares qui soit viable sur le plan économique. C’est également la plus vertueuse sur le plan environnemental puisqu’elle se concentre sur le destinataire, sans distinction d’expéditeur, favorisant ainsi l’optimisation des trajets et, par conséquent, la considération écologique », partage Pierre-Alexandre Inwiller, directeur du développement chez Transcan.

Ce procédé implique deux étapes de rupture de charge : initialement, lors de la chaîne de tri pour transférer la marchandise du semi-remorque au camion porteur électrique, puis ensuite dans les hubs inter-urbains pour charger les caisses sur les vélos. « À l’avenir, nous aspirons à pouvoir transférer directement les caisses sur les vélos cargos, éliminant ainsi cette rupture de charge et économisant du temps d’immobilisation des collaborateurs et des manipulations pour accroître notre efficacité. Nous sommes également en pourparlers avec des partenaires qui développent des innovations visant à réduire considérablement la manutention de déchargement-rechargement et les délais engendrés par la rupture de charge », précise Pierre-Alexandre Inwiller.

© Photo du hub Youngo dans un local 12point5 à Paris

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