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Face aux enjeux environnementaux et d’apaisement des centres-villes, la cyclologistique est une solution d’avenir pour le transport de marchandises sur le dernier kilomètre. La filière française, de plus en plus structurée, bénéficie d’innovations matérielles qui transforment les capacités des vélos cargos et s’inscrit dans un cadre réglementaire en pleine évolution. Ces deux axes – innovation et réglementation – sont désormais essentiels pour le développement pérenne du secteur.
La filière cyclologistique française : une structuration en marche
En France, un écosystème vélo et cyclologistique dynamique émerge, soutenu par un engagement des acteurs du secteur. C’est sur ce terrain qu’a été lancée la filière économique France Vélo en 2021. « La filière économique du vélo s’est construite collectivement. L’ensemble des associations et structures représentant l’économie du vélo en France se sont rassemblées et représentent les cinq piliers de l’écosystème vélo : l’industrie et la production de vélo, les services dont la commercialisation et la réparation, la cyclologistique, le sport et les loisirs et, enfin, les collectivités locales et aménagements cyclables », explique Florence Gall, déléguée générale de France Vélo. Cette structuration permet une professionnalisation accrue du secteur, un besoin essentiel pour développer la cyclologistique.
L’appel à projets « Industrie du Vélo » lancé dans le cadre de France 2030, qui soutient l’assemblage de vélos et la fabrication de composants en France, s’inscrit également dans cette dynamique. Il vise à contribuer au développement d’un tissu industriel local spécialisé dans le vélo. « Nous sommes parvenus, en négociant avec l’État, à valider le fait que la filière vélo bénéficie également d’un appel à projets France 2030 pour réindustrialiser autour du vélo », souligne Florence Gall. Avec 24 projets déposés lors de la première phase, dont plusieurs concernent le vélo cargo, cette initiative témoigne du dynamisme du secteur.
Cette professionnalisation est également essentielle dans le domaine de la maintenance, enjeu fondamental pour garantir aux opérateurs un fonctionnement optimal des véhicules au quotidien. Les vélos cargos demandent des compétences spécialisées pour assurer leur fiabilité, car ces équipements sont soumis à des contraintes mécaniques très importantes. Ce besoin d’expertise spécifique contribue à structurer le secteur des services autour du vélo utilitaire.
Par ailleurs, la filière s’organise au niveau territorial, avec l’émergence de clusters régionaux. Le cluster CYcle Grand Ouest (CYGO), qui regroupe trois régions (Bretagne, Pays de la Loire, Centre-Val de Loire), est principalement axé sur la production industrielle. En Occitanie, Vélo-Vallée s’oriente davantage vers les services, l’entretien et la vente. À Lyon, le cluster CARA participe au développement du tiers-lieu productif du Grand Plateau, un espace qui regroupe aujourd’hui 200 salariés et une trentaine d’entreprises du secteur du vélo.
La réglementation, enjeu clé pour le développement de la filière
La réglementation joue également un rôle important dans le développement de la filière. Une nouvelle norme européenne harmonisée pour les vélos cargos (EN 17860) est actuellement en cours d’élaboration. Si elle vise à renforcer significativement les exigences de sécurité et de fiabilité des vélos cargos, certaines évolutions réglementaires pourraient avoir un impact majeur sur l’activité cyclologistique. En effet, les restrictions actuelles concernant la circulation des quadricycles sur les pistes cyclables ou de potentielles limitations sur l’usage de certaines typologies de remorques pourraient remettre en question une partie des modèles opérationnels existants.
Matériels et innovations : des solutions sur mesure pour la cyclologistique
Cet enjeu est crucial alors que l’offre en matière de vélos adaptés pour la cyclologistique se développe, avec des solutions de plus en plus adaptées aux besoins spécifiques des opérateurs. La capacité de charge des vélos a évolué, atteignant jusqu’à 2 m³ et plus (contre un peu plus d’1 m³ auparavant) et une capacité de charge de 300 à 350 kg. Par ailleurs, les vélos à quatre roues, très stables et répandus dans certains pays, commencent à faire leur apparition en France.
Des systèmes pour la rupture de charge
La gestion de la rupture de charge, moment critique dans la chaîne logistique, bénéficie également d’innovations. L’enjeu est de standardiser les contenants et de faciliter leur préparation en amont. Des entreprises françaises, comme FlexiModal, ont ainsi développé des caissons manipulables à la main qui peuvent être chargés de leur tournée de colis en agence, avant d’être massifiés vers les centres-villes où ils sont manutentionnés par les vélos adéquats. En anticipant ainsi la préparation des tournées, ces solutions permettent d’optimiser le dernier et l’avant dernier kilomètre tout en réduisant le besoin de foncier pour opérer le transfert vers les vélos.
Des innovations dans la motorisation
La motorisation est également en pleine évolution, avec des avancées significatives sur le couple moteur et des fonctionnalités comme la marche arrière, très pratiques pour naviguer en milieu urbain dense. Valeo et Effigear ont développé un vélo avec une boîte de vitesses automatique adaptative de sept vitesses. Autre tendance innovante, le « drive by wire » supprime les éléments mécaniques entre le pédalier et le moteur, améliorant l’efficacité et la durabilité des équipements, et donc le besoin de maintenance associé.
Des solutions spécialisées pour le transport de froid
Le transport de marchandises thermosensibles, longtemps considéré comme le domaine réservé des véhicules utilitaires classiques, devient accessible à la cyclologistique. Des entreprises comme COLD & CO ou Olivo proposent des solutions de froid passif utilisant des matériaux isolants performants et des systèmes de stockage du froid innovants, permettant de maintenir la chaîne du froid sans consommation d’énergie pendant la durée des tournées. Pour les besoins plus exigeants, notamment dans le secteur pharmaceutique, VUF Bikes et Sofrigam ont développé des systèmes de froid actif intégrés aux vélos cargos, garantissant un maintien précis de la température sur de plus longues durées. Des fabricants comme Yokler, Kleuster et K-Ryole se sont également associés à des spécialistes du froid pour équiper leurs tricycles de modules de froid actif.
Des batteries modulaires pour plus d’autonomie
La gestion de l’autonomie, critique pour l’efficacité des tournées, bénéficie des avancées dans le domaine des batteries. L’entreprise allemande AES s’est imposée comme un des acteurs majeurs avec ses systèmes de batteries modulaires, également pensés pour faciliter leur maintenance. Elle développe également des batteries amovibles capables d’alimenter simultanément deux moteurs pour vélos cargo à assistance électrique. Ces approches facilitent la gestion de la recharge et la maintenance.
La cyclologistique de demain : entre avancées technologiques et encadrement réglementaire
Toutes ces innovations visent un objectif commun : optimiser les vélos cargos pour les rendre plus agiles, efficaces et rentables en maximisant leur capacité de chargement sur des gabarits compacts. Chaque avancée technologique répond à un défi spécifique pour renforcer leur compétitivité face aux véhicules utilitaires légers :
- l’augmentation des capacités de chargement permet à la fois de transporter des volumes plus importants et d’accroître le nombre de points livrés dans une même tournée (à condition de préserver l’agilité du véhicule en milieu urbain dense) ;
- les solutions de rupture de charge simplifient le transfert des marchandises tout en limitant l’espace nécessaire pour ces opérations, un atout dans les zones urbaines où l’espace est souvent rare et coûteux ;
- les innovations sur les batteries et la motorisation augmentent l’efficacité des livreurs sur des tournées plus longues. Elles renforcent aussi l’autonomie et facilitent la conduite, comme lors de la sortie de parkings souterrains ;
- etc.
Cependant, la pérennité de ces innovations repose largement sur la définition d’un cadre réglementaire en France et une harmonisation des normes au niveau européen. La réglementation doit trouver un équilibre délicat : assurer la sécurité des usagers tout en permettant aux innovations techniques de s’exprimer pleinement sur le marché afin de favoriser le développement de la filière vélo et de la cyclologistique.
Comme le souligne Florence Gall : « Si on veut faire demain plus de vélo en France, il faut faire plus de vélos en France. » Cette apparente tautologie résume bien l’enjeu : le développement de la cyclologistique nécessite une filière industrielle locale forte, capable d’innover et de s’adapter aux besoins spécifiques du marché français et européen. Cependant, cela repose également sur un équilibre délicat entre l’adaptation de la réglementation aux évolutions du secteur et la garantie d’une stabilité réglementaire suffisante pour offrir aux industriels et à leurs clients la visibilité nécessaire à des investissements durables. Ces investissements, souvent lourds et amortis sur de nombreuses années, sont indispensables pour structurer une production compétitive et conquérante en France et vers l’international.
Crédit photo : Douze Cycles